La carte n’est pas le territoire, elle ne l’a jamais été.
Pourtant, chaque jour, nous faisons comme si la carte était le territoire.
Moi le premier. Cette confusion cause une distorsion énorme dans notre perception de la réalité et c’est vertigineux. Plongeons ensemble dans les conséquences de cet adage de Alfred Korzybski et à quel point c’est important en particulier pour un entrepreneur.
Sommaire
La carte n’est pas le territoire…
“En théorie, il n’y a pas de différence entre la théorie et la pratique. En pratique si.”
L’autre jour je tombe sur une anecdote dans un journal qui a de quoi faire réfléchir : aux Etats-Unis, un homme conduisant sa voiture a fini dans un lac… En suivant son GPS qui lui a indiqué une route là où il n’y en avait pas. La carte n’est pas le territoire.
Le territoire, c’est le réel, c’est tout ce qui est, l’Unité de toute chose. Certains l’appellent Dieu, d’autres l’appellent l’univers, le Tout ou la Vie. C’est cet ensemble qui nous englobe tous, tous les univers, toutes les galaxies, tous les systèmes solaires, toutes les planètes, tous les animaux (dont les humains), tous les êtres vivants et non vivants sur Terre (et ailleurs).
Ce Tout est impossible à appréhender par nos systèmes nerveux immatures qui saturent dès qu’il y a plus de 5 informations à gérer simultanément…
Il suffit de faire une simple expérience : commence par te focaliser sur ta respiration, puis observe tes sensations corporelles de la tête aux pieds, ensuite sois présent à ton champ visuel, et à tout ce que tu entends…
Arrives-tu à tenir tous ces éléments simultanément dans ta conscience ? Bon, c’est ça les limites de ton système nerveux !
Et là, il s’agit de quelques entrées sensorielles… Nous ne sommes pas équipés pour voir la réalité telle qu’elle est.
Notre système nerveux est fait pour survivre, pas pour appréhender le réel dans son intégralité.
Alors, nous faisons automatiquement une carte du réel pour pouvoir interagir avec. Cette carte est ultra simplifiée et distordue, jusqu’au point où on ne s’en rend même pas compte.
Ainsi, l’humain qui se tient derrière un comptoir pour te donner du pain en échange d’argent est étiqueté “boulanger”. L’humain qui tient un pistolet et qui surveille les foules, est étiqueté “policier”.
C’est pratique pour se simplifier la vie, parce que si tu commences à intégrer que ces 2 humains pré-cités ont une femme, 2 enfants, qu’ils aiment la chasse, l’écriture et la poésie grecque, qu’ils ont peur du rejet et qu’ils ont été traumatisé par leur papa violent… Ca commence à faire beaucoup d’informations à traiter.
N’oublie jamais que tu ne vois pas la réalité mais ta carte de la réalité. C’est un principe de base qui permet d’éviter tant de déconvenues.
… Est-ce que tu sens toujours ton pied droit et ta respiration ? Non ? C’est normal.
Les bénéfices d’utiliser des cartes pour la clarté
Avoir une carte du territoire est très pratique. Cela plaît à notre système 1, automatique et inconscient, qui fonctionne à l’économie d’énergie. Il catalogue, range, finit les phrases tout seul…
Le système 1 c’est celui qui répond à 1+1 = ? C’est celui qui complète la phrase : “une souris verte, qui… “
Le système 1 ne réfléchit pas, il utilise sa carte sans se rendre compte qu’il le fait. Eh oui, si à chaque fois on recontextualise tout, ça serait énergivore au possible et ce serait bien compliqué de décider ne serait-ce que ce qu’on mange.
C’est d’ailleurs une réaction typique de quelqu’un confronté à ses choix alimentaires lorsqu’il découvre qu’il y a un édulcorant toxique dans la moitié de ses aliments transformés préférés. Ce à quoi il rétorque “de toute façon on ne peut plus rien manger”, bottant ainsi en touche pour s’économiser une pensée un peu plus complexe en lien avec le système 2.
Le système 1 favorise l’action et la survie, il n’est pas là pour être en contact avec le réel ou pour penser clairement. Je le répète : Nous ne sommes pas faits pour voir la réalité telle qu’elle est.
Avoir une carte comme l’ennéagramme est fort pratique parce que ça permet d’identifier le noyau central des êtres humains. C’est limité, ça ne décrit pas entièrement les individus, mais ça reste une carte pertinente.
Une autre carte comme la spirale dynamique permet de cerner assez rapidement l’environnement dans lequel on est et aide à mieux comprendre les autres, surtout quand ils ne fonctionnent pas du tout comme nous !
La carte a beaucoup d’avantages lorsqu’elle est utilisée comme telle. À l’image d’une carte de randonnée, elle nous donne des repères dans un monde chaotique complexe.
Par contre, quand on commence à confondre carte et territoire, les problèmes arrivent…
La folie de confondre carte et territoire
La carte peut être très précise, très fine, ça peut être une carte IGN avec un grand niveau de détails… Ca reste une carte.
“La folie, c’est la confusion entre les choses et ce qui les représente” disait Alfred Korzybski, créateur de la sémantique générale, à l’origine de cet aphorisme devenu titre de cet article.
Cette folie est bien illustrée par l’anecdote qui ouvre cet article. Mettre trop d’emphase sur la carte, c’est risquer de se retrouver dans un ravin alors que nous avons 2 yeux pour justement nous protéger de ce genre d’erreur stupide.
Le plus gros inconvénient de la carte, c’est qu’elle donne l’impression d’être le territoire alors qu’elle nous maintient dans une vision tronquée du territoire. Par essence, la carte ne peut que s’approcher du réel sans jamais le toucher.
Une métaphore qui l’illustre bien est le film Truman Show, ou le fantasme des infra-mondes virtuels proposés par les grandes sociétés de notre monde moderne.
La carte, c’est le mot “arbre”. Le territoire, c’est la réalité de la Vie quand je regarde derrière ce mot.
La carte, c’est le piège du langage qui tend à nous faire oublier que les mots sont juste… des mots, des vecteurs de sens qui ne sont pas la chose observée.
Quand on s’amuse à regarder avec ce filtre, on constate vite que la quasi-totalité des êtres humains passent leur temps à parler de leur carte et à croire qu’ils parlent du territoire.
Ne revient-on pas à la folie dont parle Korzybski ?
Il n’y a aucun problème à utiliser le langage, il n’est pas question de se taire et finir dans un mutisme total. Simplement, ne te fais pas avoir par ton propre psychisme.
On ne peut pas toucher le réel avec des mots : il faut se dépouiller de nos certitudes que le mot arbre = l’arbre.
C’est tout l’intérêt du silence, de la méditation : être dans le territoire sans chercher à le raccrocher à une carte.
Ces temps de contemplation permettent d’observer sans rajouter une couche interprétative ET constater dès qu’une interprétation, un jugement, une valence émotionnelle, pointe le bout de son nez.
Assis sur ton coussin, tu es focalisé sur ta respiration puis tu entends un aboiement. De là, tu as vite fait de commencer à rajouter des couches interprétatives sur cet aboiement : “c’est le chien de qui ?”, “pourquoi il aboie pendant ma méditation ?”, “voilà pourquoi je ne veux pas de chien”, “si seulement il pouvait la fermer”…
Il est ainsi très facile de se monter le bourrichon tout seul !
Nous humains sommes dotés d’un cerveau digne de Spielberg, qui se fait des films et crée du sens automatiquement. D’où l’impact phénoménal de notre vision du monde et les croyances qui en découlent.
La carte rassure, la carte fait du bien, mais la carte… N’est pas le territoire.
Faire des plans sur des plans sur des plans
“Devant l’incohérence de sa vie et l’injustice de sa mort, l’Homme a cherché une explication logique avec sa logique humaine. Oppressé par l’angoisse d’un monde incompréhensible, il lui a cherché une explication que son observation ne lui fournissait pas. Il a trouvé dans le mythe une thérapeutique de son angoisse, sans se douter que ce mythe lui-même allait être la source de nouvelles angoisses au second degré.” Henri Laborit
Appliquons l’adage de Korzybski à l’entrepreneuriat.
Ces dernières années, j’ai accompagné beaucoup de personnes qui surutilisent le centre mental. Moi-même, le mien carbure beaucoup.
L’écueil de ces profils de personnalité est souvent le même : ils font des plans sur la comète et peinent à agir dans la matière.
La carte devient l’obstacle principal à la réalisation alors que son usage premier était de faciliter l’action via les heuristiques de pensée.
Pour ces profils, il n’y a jamais assez d’informations. Ils cartographient le plus possible le futur, font des belles arborescences… Mais concrètement c’est du vent et complètement déconnecté du réel. Ces profils peuvent passer des années à procrastiner leurs projets car ils n’ont pas assez d’informations. J’ai un scoop pour eux : tu n’auras jamais assez d’informations.
C’est pour ça qu’un des principes en startup est de chercher très vite à concrétiser un projet pour recevoir très vite des retours du réel. Cela consiste notamment à avoir un Produit Minimum Viable que l’on lance même s’il n’est pas parfait. Ensuite il est amélioré par itération successive et cela amène à un produit beaucoup plus poussé et bon que s’il était lancé une seule fois dans une optique de perfection.
La vitesse d’implémentation permet de minimiser les fantasmes que l’on se fait dans notre tête pour plutôt se baser sur des faits. Ca permet de rester humble et de garder les pieds sur terre.
Voici un adage qui est un vrai antidote pour les centres mentaux : Pour marcher j’ai besoin de 5% de réponses, les 95% restant viendront en marchant.
Tu l’as compris, du mental sur du mental, c’est vite déconnecté de la réalité même si c’est beau sur le papier.
Un exemple criant est le système d’organisation. J’ai essayé à de multiples reprises d’avoir un super système d’organisation où tout est bien ordonné et rangé. C’est parfait sur le papier mais complètement inutilisable en pratique.
Le centre mental finit toujours par être face à son incapacité à modeler le réel parfaitement. Il en résultat une peur de vivre dans un monde chaotique et incompréhensible.
Alors garde à l’esprit que la carte n’a jamais été, n’est pas et ne sera jamais le territoire de la vie.