Ah le sacrifice !

Un mécanisme vieux comme le monde et si méconnu des humains. Le Christ est mort de l’avoir révélé à la lumière, aux yeux de tous. Le but de cet écrit est de te montrer :

  • Où est le sacrifice (surtout là où tu ne le vois pas)
  • Comment le repérer à tous les coups
  • Comment sortir de ce mode de fonctionnement aussi omniprésent que malsain chez nous autres humains.

Ton système nerveux ne veut pas creuser ce sujet et fera tout pour l’esquiver. Tu es prévenu.e.

Pourquoi le sacrifice ?

Le sacrifice a une fonction capitale depuis des millénaires.

L’humain vit dans une double contrainte depuis très longtemps :

  • Le monde est chaotique, imprévisible et dangereux
  • Nous devons nous grouper pour survivre.

Nous savons très bien que l’humain lui-même peut être la menace. Mais pour survivre, nous devons refouler cette peur de l’autre, sans quoi il serait impossible de faire groupe.

Cette tendance au sacrifice est imprimée très profondément en nous. Consciemment, nous résistons contre cette idée, nous la trouvons au mieux naïve, au pire grotesque.

Pourtant, les faits le prouvent encore et encore.

Pour faire société, nous nous coupons de notre agressivité, refoulant nos pulsions de violence et de mort… Cette énergie contenue doit trouver un chemin pour s’exprimer.

C’est ainsi que collectivement, nous désignons des bouc émissaires, projetant sur eux tout ce qui a été refoulé, les rendant responsables de tous nos maux.

Le mécanisme sacrificiel fonctionne très très bien, puisqu’il continue d’avoir lieu chaque jour dans notre “société moderne”.

TOUS les groupes humains se fondent sur le sacrifice d’un bouc émissaire : ce n’est pas un choix conscient mais une structure fondatrice des cultures, présent dans tous les mythes, comme l’a prouvé René Girard.

Le choix du bouc émissaire

Dans ses thèses, René Girard a mis en lumière ce mécanisme universel à travers 2 théories :

  • La théorie mimétique : notre désir est mimétique, c’est-à-dire qu’il naît toujours en relation avec un autre. Nous désirons ce que l’autre désire. Ce mimétisme engendre la rivalité mimétique, qui pousse les individus à se battre pour le même objet de désir (un partenaire potentiel, un téléphone dernier cri, du pétrole…). Quand cette rivalité se généralise, elle dégénère en crise mimétique.
  • La théorie du bouc émissaire : pour sortir de la crise, le groupe désigne inconsciemment un bouc émissaire, sur lequel toutes les tensions se cristallisent. Son exclusion ou sa mise à mort (réelle ou symbolique) restaure temporairement l’unité et la paix.

Autrement dit, Girard montre que le désir mimétique crée la crise, et que la désignation du bouc émissaire en est la sortie, au prix d’une victime.

Comment ça se passe ?

  • Quand les tensions montent dans un groupe et qu’il y a besoin de trouver un responsable, le mécanisme du bouc émissaire se déclenche.
  • Le choix se fait inconsciemment : personne ne se rend compte que la personne désignée est choisie arbitrairement.
  • La victime choisie est à la fois semblable aux autres (pour qu’on puisse l’identifier au groupe) et un peu différente (pour qu’elle soit crédible comme cause du problème).
  • Son exclusion ou sa mise à l’écart apporte un sentiment d’apaisement et de cohésion au reste du groupe.

Nous avons tous remarqué dès la cour de récré que : le gros, l’intello, le roux, le binoclard… sont tour à tour bouc émissaire qui fédère le groupe.

Ca n’a évidemment pas lieu que dans la cour d’école. Les événements depuis 2020 ne font qu’amplifier le phénomène :

  • Les migrants : « Ils n’ont aucune raison d’être ici, ce sont des voleurs, des assassins, des violeurs… voilà tout ce qu’ils font, ils doivent être renvoyés. » Eric Zemmour
  • Les non-vaccinés : « Les non‑vaccinés, j’ai très envie de les emmerder. […] On va continuer à le faire, jusqu’au bout. » Emmanuel Macron. « Les non-vaccinés sont des irresponsables et un irresponsable n’est plus un citoyen. » Le même.
  • Les complotistes : « Les complotistes sont un danger pour la démocratie. Ils propagent des mensonges qui divisent et affaiblissent notre société. Il faut les censurer sur les réseaux sociaux. » Gérard Darmanin

Chaque époque, chaque événement, induit son bouc émissaire.

Ce mécanisme sert à simplifier la réalité avec une grille de lecture sans nuance, ça permet d’apaiser temporairement les tensions sociales… Parce qu’il faut bien comprendre le rôle social du bouc émissaire, qui est de restaurer l’unité du groupe…

Jusqu’à la prochaine crise mimétique. Et les temps modernes sont de plus en plus violents pour notre psychisme.

Rien de surprenant à cela. La vie moderne est de plus en plus stressante, rapide, compétitive, tout en vivant dans une société coercitive, castratrice.

L’agressivité des membres de la société est contenue (parce que Bleu est passé par là, avec un Surmoi gargantuesque, garant de l’ordre, grâce aux règles et aux lois).

Contenue ne veut pas dire empêchée (cf l’augmentation des attaques à l’arme blanche).

Alors l’agressivité sort différemment :

  • Sur internet, la haine s’intensifie
  • Les réseaux sociaux deviennent un exutoire de cette violence contenue
  • La montée des extrêmes (je ne parle même pas de politique) : les gens se radicalisent
  • Le harcèlement scolaire augmente en fréquence et en niveau de violence
  • Les agressions de professeurs et du personnel
  • Les violences policières omniprésentes

Le sacrifice rend impossible l’individuation

Sacrifier quelqu’un ne veut pas dire forcément le tuer. On parle d’un meurtre symbolique, qui peut aboutit à toutes sortes de violences (verbales, physiques…).

Projeter sur un tiers une partie de moi, c’est instantanément rejeter cette part de moi. C’est tout le propos de la projection : je ne veux pas la voir chez moi.

On passe tellement de temps à se raconter à nous-mêmes et aux autres notre identité présumée : gentil, serviable, intelligent, généreux… Comme si les cons, méchants, égoïstes étaient seulement à l’extérieur de nous.

Le sacrifice de ces parties de nous scelle une souffrance inconsciente qui nous fait pourrir de l’intérieur. ` Le pire dans ce processus est que nous ne le voyons pas ! L’individuation est complètement bloquée quand on agit comme ça.

Et pourtant, la tentation est grande de reporter nos maux sur notre patron, sur notre ex devenu subitement pervers narcissique, sur les riches, sur les jeunes, sur le président, sur notre famille…

Concrètement, on perd instantanément toute responsabilité quand on fait ça (et c’est d’ailleurs un des bénéfices majeurs).

Jusqu’ici j’ai beaucoup parlé du monde extérieur, mais ce serait rater une partie fondamentale du sacrifice et de la théorie du bouc émissaire de René Girard.

Le sacrifice intérieur

De la même façon que les sociétés se soudent en rejetant une victime, notre psychisme se structure en rejetant une part de nous-mêmes. Il serait donc illusoire de croire que le sacrifice n’est qu’à l’extérieur : il est tout autant à l’intérieur de notre psychisme, et même en proportion directe.

Ainsi, quelqu’un qui passe son temps à critiquer les autres ne parle jamais… qu’à lui-même.

Le bouc émissaire social permet de fédérer le groupe tandis que le bouc émissaire psychique permet de fédérer le psychisme : c’est l’ego.

En ennéagramme, le phénomène est très visible :

  • Le centre réprimé est déconsidéré, il est vu comme inutile, une perte de temps. Il coûte de l’énergie à utiliser et nous perdons très vite patience dès que nous le sollicitons. L’ego ne veut pas l’utiliser et il le sacrifie sur l’autel du centre préféré.
  • L’instinct réprimé est considéré comme inutile et on le laisse également de côté, bafouant les besoins concernés, au profit de l’instinct dominant qui prend toute la place.

Ainsi, certains sacrifient leurs émotions et leur sensibilité (pour être plus rationnel), d’autres sacrifient leur corps (pour être plus efficace), d’autres sacrifient carrément leur rapport à eux-mêmes et leur vie spirituelle.

Un sacrifice ne se fait jamais sans un prix à payer : il y a une augmentation de la violence envers soi-même (et les autres). Si je sacrifie mes émotions, je risque d’être dérangé par ceux qui se permettent de les vivre et les exprimer.

Dirigée vers soi, la violence se traduit en jugements, injonctions à faire ou être, en culpabilité… Il y a un rejet pur et simple de qui je suis. On aboutit logiquement à la honte où l’on se cache tellement on n’assume pas d’être soi-même.

Comment sortir du sacrifice

L’ombre n’est plus une ombre lorsqu’elle est exposée à la lumière. Le sacrifice cesse dès lors que la lumière est mise dessus.

Depuis des années, j’entends parler d’un paradigme non sacrificiel, mais ça reste très théorique tant qu’on en a pas l’exemple vivant.

Récemment, l’illustration de ce qu’est la “non sacrificialité” m’a sauté aux yeux.

En regardant “The chosen”, la série sur Jésus et ses disciples, j’ai été abasourdi.

Je l’avais déjà entendu mais tout à coup c’était clair :

Le Christ ne propose pas un nouveau sacrifice : il dévoile et désacralise le mécanisme sacrificiel. Sa mise à mort — celle d’un innocent — apparaît pour ce qu’elle est : un meurtre collectif travesti en justice. En racontant l’événement du point de vue de la victime, l’Évangile révèle la fausseté de l’accusation sacrificielle et rend caduque la croyance selon laquelle « la victime est la cause du désordre ».

La femme « possédée », le paralytique, le lépreux, l’aveugle, le publicain…

Le Christ incarne l’accueil qui réintègre ceux que le système excluait, et il refuse d’entretenir la réciprocité violente.

Par ses paroles et ses paraboles (brebis perdue, bon samaritain, fils prodigue), Jésus renverse le regard porté sur la victime : il met en lumière son innocence et montre que la communauté se trompe quand elle rejette l’un des siens. Le mécanisme du bouc émissaire est alors dévoilé : il peut toujours fonctionner, mais il ne peut plus s’appuyer sur l’illusion collective de la culpabilité de la victime.

À partir de là, deux voies s’ouvrent : persister dans le sacrifice grâce au déni, ou entrer dans un mode non sacrificiel faite d’accueil, de pardon et de réintégration.

Pour moi qui n’ai jamais été religieux, comprendre le véritable message spirituel du Christ m’a mis une énorme claque !

Au passage, l’histoire montre ce qui se passe quand le mécanisme sacrificiel est révélé au grand jour… la plupart des humains n’ont pas les ressources pour changer de mode de fonctionnement, alors ils rejouent exactement le même schéma mortifère en sacrifiant de nouveau. C’est vu et revu. Même chez les chrétiens qui glorifient Jésus Christ…

Quand je m’offre de l’auto-empathie, c’est exactement ce qui se passe : j’accueille une émotion, une part de moi qui était cachée et mise sous le tapis. Quand je vais voir mon enfant intérieur, c’est aussi ce qui se passe.

Il est possible de vivre hors du mécanisme sacrificiel, mais il y a plusieurs choses à savoir :

  • Ca exige du temps et de la persévérance
  • Ca demande de la douceur et de l’accueil
  • Ca coûte beaucoup d’énergie, de méta-cognition
  • Ca implique des renoncements (à trouver des coupables, à juger et projeter sur l’autre)
  • Et ça demande l’accompagnement par un tiers qui nous aide à regarder dans nos angles morts

Mais le jeu en vaut la chandelle. Un million de fois.

Moins je nourris le sacrifice, plus la qualité de ma vie augmente. J’en fais le constat quotidiennement depuis plus de 4 ans et je le vois chez celles et ceux qui jouent au même jeu que moi.

J’ai l’impression que ce choix ne peut que venir avec un développement de la spiritualité, dans une forme de réunification.

Si t’as envie de passer de la théorie et la pratique dans ta propre vie, discutons-en de vive voix.

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