“Ce que la chenille appelle la fin du monde, le maître l’appelle un papillon.”

Cette transition de vie opérée entre la chenille et le papillon est vécue pour chacun de nous.

L’humain est une espèce paradoxale, à l’image de la Nature dont il fait partie.
Beaucoup de gens se sentent perdus, déprimés, en proie au désespoir, dans une société décadente où ils ne se reconnaissent plus.
Ce mal-être de fond témoigne d’une nécessite de mourir et de renaître.
Avis aux phénix qui vont lire cet article, nous allons voyager entre psychologie et sociologie pour évoquer un thème clé de la vie humaine : les transitions de vie.

Attachement et identification

L’humain se différencie de toutes les autres espèces par la présence d’une structure psychique de survie (inconsciente) appelée “ego” : ce sentiment d’être quelqu’un, séparé des autres, avec une histoire singulière.

L’attachement à ce “moi autobiographique” est caractéristique de notre psychisme : il s’agit d’une transe d’identification où l’on finit par se confondre avec notre prénom, notre nationalité, notre corps, notre famille, notre travail, notre compte en banque, notre parti politique, notre mode alimentaire… L’identification se porte préférentiellement sur certains thèmes selon notre profil de personnalité (voir l’ennéagramme).

Cet attachement crée une tension, une rigidité, c’est une prise à laquelle on s’accroche (et c’est bien pour cela que le “détachement” est au cœur de toutes les approches spirituelles). D’ailleurs “attachement” vient de l’ancien français “estachier” puis de “stick”, issu du vieil anglais sticca qui signifie… “Pieu” !

L’attachement crée autant le sentiment d’une sécurité illusoire qu’une souffrance bien réelle, cela nous fait très peur de lâcher nos identifications. Pensons à une personne tellement identifiée à son travail qui, partant à la retraite, perd le sens de sa vie et meurt peu de temps après. 

Il suffit de voir ce qui se passe quand on touche à un sujet auquel une personne est identifié : plus la réaction est forte, plus la personne est identifiée. 

Le refus de la transition : déni de la mort

Tout système cherche la pérennité et résiste à sa disparition. C’est le cas d’une famille, d’une nation, d’un psychisme humain…

Ce thème récurrent se retrouve dans la quête d’immortalité que poursuivent certains humains : c’est l’apogée du paradigme scientiste qui vise à outrepasser les lois de la nature à travers le transhumanisme. L’idée n’est pas nouvelle : on retrouve les fondements de cette volonté avec la fontaine de Jouvence ou l’élixir de longue vie.

En cherchant à stopper la mort (en bidouillant le génome, en inversant les processus du vieillissement…), l’humain cherche un moyen d’échapper à la vie elle-même, s’affranchissant des lois biologiques auxquelles il est soumis.

Vie et mort sont les deux faces de la même pièce, l’une n’existe pas sans l’autre.

Ce thème est joliment illustré dans Blade Runner où le réplicant Roy Batty, incarnation du fils de Dieu, tue le Dr Tyrell, Dieu le père, son créateur, incapable d’accéder à sa demande de lui rallonger sa courte vie.

Le diptyque vie-mort est un thème fractal de la vie :

  • À chaque seconde dans une inspiration/expiration
  • À chaque instant dans le renouvellement et la mort des cellules
  • Chaque jour avec le sommeil et le réveil
  • À chaque début et fin de chapitre de vie (relation, travail…)
  • À notre naissance et à notre mort
  • À l’apparition et la disparition des étoiles, univers…

Loin d’être linéaire comme on nous l’a vendue avec une vie monotone basée sur les 35 heures, la vie humaine est faite de cycles (circadiens, lunaires, ultradiens…), à l’image des vagues où les montées succèdent les creux.

Transition de vie : anatomie d’un changement

Dans son excellent livre “Transitions de vie”, William Bridges modélise… La transition de vie. 

Les transitions de vie sont nombreuses : fin d’une période de vie, changement d’emploi, création d’une entreprise, changement de partenaire de vie…

William Bridges explique que toute transition de vie est un processus qui passe par 3 étapes :

  1. La fin : désengagement, démantèlement, désidentification, désenchantement, désorientation.
  2. La zone neutre : c’est l’entre-deux directement associé au vide, à la mort, qui nous fait peur. C’est un espace nécessaire de destruction créative. William Bridges rappelle comme c’est important de ne pas sauter cette étape du processus.
  3. Le nouveau départ : c’est le début d’un autre chemin

Non, cela n’est pas à l’envers ! Encore un paradoxe…

Toute transition de vie commence par une fin. Cette fin qui fait peur car elle symbolise une petite mort, cette fin où les changements sont inéluctables. 

Chaque phase est nécessaire, sans quoi c’est la garantie d’un deuil pathologique, voire la garantie de rejouer les mêmes schémas.

William Bridges pointe dans son livre la nécessité de respecter chaque phase du processus et la sagesse qu’il y a à prendre du temps pour la “zone neutre”, un moment de vide. 

Il est particulièrement important de ne pas être seul dans ce processus de transition. Le coaching, un accompagnement émotionnel, les amis, la lecture de livres, les arts, les jeux… Sont autant de soutien. L’accompagnement et le coaching sont encore plus important dans la zone neutre, qui est l’étape pivot que l’on ne peut pas sauter.

Toutes les transitions de vie passe par ces 3 phases et impliquent un changement profond et un nouveau départ. Seulement, il s’agit de ne pas trop se presser pour ce nouveau départ, sans quoi on ne prend pas le temps d’intégrer le changement, de faire le deuil.

Illustration de la transition orange-vert

Notre monde post-âge d’or du 20ème siècle a amorcé une phase de déclin amenant la nécessité une transition. Comme à chaque étape de la vie, des dinosaures à l’empire romain, à l’âge d’or suit la décadence.

Cette respiration vie/mort ou début/fin est parfaitement modélisée dans la spirale dynamique qui décrit les niveaux de conscience de l’humanité, se succédant les uns aux autres, chaque niveau transcendant et incluant le précédent.

Ce siècle est marqué par l’expression du niveau Orange et ses limites, dont :

  • Consumérisme de masse
  • Destruction des écosystèmes au niveau planétaire
  • Raréfaction de bon nombre de ressources
  • Accentuation des écarts entre ultra-riches et ultra-pauvres
  • Dégénérescence des êtres humains (maladies de civilisation, QI en baisse…)
  • Encombrement de la Terre et du ciel par des déchets dont personne ne veut

Pour Orange, la vie est une ressource à exploiter pour en profiter ici et maintenant au maximum puisque, de toute façon, “on a qu’une vie”.
L’être humain alors devenu faire humain, traite ses congénères comme des “ressources humaines” : il est interchangeable, manufacturé, stoïque.

Je ne m’intéresse pas à étiqueter de “mal” les effets du niveau Orange comme le ferait le niveau Bleu avec une morale binaire (les méchants capitalistes VS les gentils prolétaires ou sa variante moderne les méchants capitalistes VS les gentils écolos)

Dans le contexte d’Epanessence, je m’intéresse plus particulièrement à l’application dans notre propre psychisme pour voir que la TOUTE première étape… nous incombe.

Orange dans notre psychisme c’est :

  • La perte de vie intérieure et de toute spiritualité (désenchantement du monde)
  • La dissociation avec nos affects à un niveau encore plus profond (Bleu avait déjà commencé avec la castration de l’individu) avec une prédominance de nos pensées sur nos émotions (“je pense donc je suis”)
  • Se considérer comme une machine à atteindre des objectifs et produire des résultats, menant à la fatigue, l’épuisement voire le suicide (en gros sacrifier l’être au profit du faire)
  • Considérer les autres comme des moyens pour atteindre ses objectifs
  • Chercher à améliorer, à s’optimiser, courir après la meilleure version de soi-même

Orange sacrifie beaucoup de choses pour satisfaire tous ses désirs et chaque personne ayant vécu Orange suffisamment longtemps s’en est rendu compte. Et en même temps c’était nécessaire pour apporter un vent de fraîcheur après des siècles de Bleu, qui a étouffé l’individualité par son corpus de règles et de normes absolues.

Orange est l’incarnation du meurtre de Dieu en nous par le fils (l’ego) qui se croit tout puissant (à regarder depuis la figure archétypale et pas au sens religieux pur). Ce schéma est répété dans bien des œuvres de fiction (les Frères Karamazov, Blade Runner cité plus haut…) et dans la réalité (Commode tue Jules César).

Orange troque l’enthousiasme (littéralement “Dieu à l’intérieur” : en-theos) contre une quête du plaisir, à la poursuite des signes extérieurs de richesses, des posessions et des voyages au bout du monde (puisqu’il cherche sa divinité intérieure à l’extérieur).

D’ailleurs, la perte de foi motive d’autant plus cette quête d’immortalité, tant il s’est coupé de la vie. L’humain Orange croit véritablement vivre en dehors de la vie, c’est pourquoi il ne réalise pas les dégâts qu’il cause.

Opérer une transition Orange-Vert, c’est se prendre en pleine tronche le prix à payer de ce mode de fonctionnement. C’est tout ce que j’ai dû faire entre 2019 et 2021 :

  • réaliser à quel point je me suis traité comme une machine à produire
  • réaliser le coût immense de m’être coupé de mes émotions et surtout de ma tristesse
  • réaliser mon impuissance à changer bon nombre de choses
  • réaliser la dureté envers moi pour poursuivre la “meilleure version de moi-même”
  • réaliser la vaine gloire de mon profil de personnalité (cf les 8 logismoï de Evagre le pontique)
  • prendre des mois à lâcher, à ne rien faire, à faire le deuil

Passer à Vert, ce n’est pas chercher à revenir en arrière au temps des chamans, des tribus et de la danse autour du feu.

Sortir de Orange demande de laisser mourir le paradigme Orange (même s’il est transcendé et inclus par après) car, comme dit plus haut, nous avons besoin d’expérimenter un système jusqu’au bout avant de réaliser ses limites et la nécessité d’en changer.

Individuellement, c’est plus rapide (quelques mois à quelques années) puisque nous sommes seul concernés. Ca n’en reste pas moins le monde qui s’écroule sous nous pied et toute une vision du monde qui s’effondre (et donc le deuil qui va avec).

Collectivement, il y a l’inertie sociétale, toute la complexité construite avec les règles et dogmes de Bleu, les grandes entreprises et l’ultra-consommation de Orange, tous les enchevêtrements liés à une société mondialisée.

Voilà pourquoi cette transition Orange-Vert, poussant dans l’ombre depuis quelques dizaines d’années, commence à vraiment pointer le bout de son nez mais peine à être réellement enclenchée, car son vrai moment n’est pas encore venu.

Le milieu de la courbe de Gauss en est à payer les factures, créer son business et les considérations de Vert (l’harmonie collective au présent) ne sont pas prioritaires.

Toute transition de vie est la mort de l’ancien pour la naissance du nouveau. Comme toute fin, elle s’accompagne d’une énergie descendante, d’un plongeon dans le chaos et le vide, le deuil et la tristesse qui l’accompagne… C’est une dé-pression en soi, pour laisser émerger un nouvel ordre capable de gérer plus de complexité (chaque niveau de la spirale sait gérer plus de complexité et de nuances), d’autant qu’à partir de Vert on passe au paradigme du ET (rationalité ET émotion, modernité ET tradition, technologie ET nature).

Dans cette phase hivernale (cf la roue de Hudson), on doit lâcher toute identification à notre monde d’avant, abandonner nos référentiels et rester humble car on ne sait pas ce qui vient quand on est dans la tempête. Cela rejoint une des conditions de changement, qui implique d’être soutenu, guidé et accompagné.

LA condition sine qua non d’une transition de vie réussie réside dans le lâcher prise, de sauter dans le vide sans savoir ce qu’on va trouver car la prise de cette identification/crispation qui cherche à garder du contrôle, empêche la transition. Voilà le sens du “saut de la foi” : je ne sais pas et j’y vais quand même.

L’éternel recommencement

Comme dans un jour sans fin, le schéma se répète. Le diptyque vie/mort continue de se perpétuer dans notre vie, jusqu’à la prochaine transition. La spirale dynamique illustre parfaitement cet éternel recommencement parce que chaque nouveau niveau de conscience émerge pour répondre aux problématiques générés par le niveau de conscience précédent… Ce faisant il génère de nouveaux problèmes qui nécessiteront un niveau de conscience ultérieur… Et ceci sans fin.

La vie est une invitation à ne pas chercher à la saisir, à la figer, car en plus de te fatiguer, tu n’y arriveras pas. Attraper l’eau est impossible. L’arbre finit toujours par briser le trottoir. “La vie trouve toujours un chemin” comme disait le théoricien du chaos de Jurassic Park, tout vêtu de noir.

Alors arrêtons de jouer à l’apprenti sorcier à essayer de bidouiller la génétique pour améliorer les êtres humains, recréer des abeilles artificielles ou prolonger la vie… Une technologie biomimétique (inspirée de la nature) a beaucoup plus de chances de créer des révolutions qu’une technologie cherchant à se substituer à la nature.

La volonté de toute puissance d’un humain l’amène au même endroit que celui qui s’en fout. La mort fait partie de la vie : tout revient à la pachamama dans un cycle perpétuel aussi incompréhensible que magnifique.

Blade Runner symbolise également l’idée que la vie a une vraie valeur par la conscience de sa finitude. Vouloir la prolonger indéfiniment par des crèmes anti-rides ou par un rallongement de nos télomères reviendrait à perdre la valeur de la vie.

Comme le disait Sénèque il y a plus de 2000 ans (!) : “Celui au contraire qui ne passe pas un moment sans en tirer profit pour lui-même, qui organise chaque jour comme si c’était son dernier jour à vivre, ne souhaite ni ne redoute le lendemain.”

Les mystères de la vie m’invitent à rester humble et à conclure par une citation du Dalaï Lama (ça fait cultivé !) et d’un trader-philosophe aussi atypique que pertinent.

“Ce qui me surprend le plus dans l’humanité ? Les hommes… parce qu’ils perdent la santé pour accumuler de l’argent, ensuite, ils perdent leur argent pour recouvrer la santé. Et ils se perdent dans d’anxieuses pensées sur le futur au point de ne plus vivre ni le présent ni le futur. Ils vivent comme s’ils n’allaient jamais mourir… et meurent comme s’ils n’avaient jamais vécu.” Dalaï Lama

“Mère Nature n’est pas parfaite, mais s’est jusqu’à présent montrée plus intelligente que les êtres humains, et certainement beaucoup plus intelligente que les biologistes. Mon approche consiste donc à associer des recherches fondées sur des preuves (débarrassées de théorie biologique) à un a priori selon lequel Mère Nature a plus d’autorité que quiconque.” Nassim Taleb

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