“Émotions négatives” est un terme dans la bouche de beaucoup de personnes.
“Il faut se libérer des émotions négatives”, cultiver les émotions positives”…
Si tu es là, ce sujet t’intéresse et tu te sens concerné par ces émotions dites négatives.
Et si c’était une immense foutaise ? Avec cet article j’aimerais remettre l’église au milieu du village.
Sommaire
Les émotions négatives : d’où vient cette idée ?
Pour comprendre ce terme d’émotions négatives, il faut du contexte.
D’abord les émotions. Comme tu le sais, les émotions sont universelles : sauf exception, tout humain vit des émotions.
Joie, tristesse, colère et peur sont les 4 émotions primaires (± dégoût et surprise) avec toutes les nuances possibles et imaginables.
Pour Claudon et Weber, l’émotion est un “état de conscience complexe, généralement brusque et momentané, accompagné de signes physiologiques”.
Pour certains l’émotion est un ensemble de sensations physiques.
Je trouve dangereux de limiter l’émotion à sa dimension corporelle car c’est souvent faire l’impasse de sa dimension psycho-émotionnelle (ça arrange bien les gens qui ne sont pas à l’aise avec leur vie émotionnelle).
L’expérience du restaurant ne se résume pas au sauté de veau et à la mousse au chocolat, tout comme l’expérience subjective de la colère n’est pas simplement de la chaleur et de la contraction physique.
Depuis quelques années, j’entends de plus en plus ce terme d’émotions négatives qui induit tellement de choses en seulement 2 mots.
La présence d’émotions négatives induit la présence d’émotions positives. Cela implique qu’il y a d’un côté des émotions souhaitables, qu’il faut encourager, entretenir, et d’un autre côté des émotions malvenues, qu’il faut raccompagner, éteindre, étouffer.
Le terme “émotions négatives” contient en lui-même une coloration émotionnelle des émotions.
En gros : certaines émotions sont OK et d’autres ne sont pas OK.
Cette scission duelle se retrouve dans une vision moraliste du bien et du mal. Bizarrement, l’émotion négative n’est pas la joie. C’est très souvent la colère ou la tristesse. Dans ce type d’émotion où l’on se sent “mal” d’ailleurs.
Tu la sens l’idéologie sous-jacente ? Mais selon quelle norme il y aurait des émotions positives et des émotions négatives ? Selon quel absolu ?
L’art de se débarrasser des émotions
Depuis que je me suis intéressé au développement personnel il y a une quinzaine d’années, j’ai vu sortir de nombreuses méthodes pour éradiquer toutes ces vilaines émotions négatives :
- L’EFT pour se calmer en tapotant des points quand c’est désagréable
- L’hypnose pour libérer par magie toutes les émotions enfouies du passé
- La PNL pour reprogrammer des souvenirs négatifs en positif.
Dans cette vision du monde, il y a la volonté consciente ou non de se couper de toute une partie du vivant en soi, avec le prix que cela coûte.
L’émotion, c’est de la vie en mouvement, c’est même dans l’étymologie du mot.
Trancher le réel en 2 avec des émotions positives et des émotions négatives, c’est vouloir garder une partie du gâteau (celle qui nous arrange) et jeter l’autre à la poubelle (en faisant comme si elle n’existait pas)
Voilà tout ce que subcommunique le terme d’émotions négatives. On pourrait tirer la même pelote avec les “pensées négatives”, tu as compris l’idée générale.
C’est tellement pratique de dégager d’un revers de main toutes ces émotions qu’on ne veut pas avec un outil “efficace” ! Parce que oui, ces outils peuvent être TRÈS efficace pour refouler les émotions qui nous incommodent.
Mais ce n’est pas parce que c’est efficace que c’est bon pour toi.
Par contre, attention au retour de bâton ! Un refoulement n’est jamais sans conséquence. La partie de nous que l’on sacrifie finit tôt ou tard par revenir à la conscience.
La vie ne peut pas être contenue indéfiniment : on ne peut pas la contrôler. Justement, nos émotions, c’est de la vie !
“Les émotions vécues ne durent pas éternellement. (…) Elles ne se fixent dans le corps que lorsqu’elles sont bannies.” Alice Miller
Tout ce qui ne s’exprime pas (ou n’est pas vécu en conscience) s’imprime dans le corps sous forme de tensions.
Dans ma vie j’ai croisé beaucoup de personnes qui vivaient dans cette vision duelle des émotions en utilisant abondamment des outils tel que EFT, hypnose et je n’ai jamais été inspiré par leur état d’être.
À chaque fois qu’elles vivent une émotion qui les importune, je sens qu’elles veulent tirer la chasse comme quand il reste une crotte au fond de la cuvette.
Quelque part, il y a une tentative de maintenir une équanimité perverse qui est en réalité une anesthésie.
Bref, ces personnes n’incarnent pas une santé mentale qui fait rêver. C’est malheureusement bourré de contrôle avec toutes les conséquences qui en découlent.
L’injonction du bonheur
Ca n’est pas un scoop, nous vivons dans une société qui valorise le bonheur. Pas un épanouissement profond basé sur l’écoute de soi, mais un bonheur factice basé sur de la consommation, des expériences et des possessions matérielles.
Dans ce monde lisse, se sentir triste ou en colère est souvent malvenu : ça n’a simplement pas sa place. Il suffit d’observer le réflexe de tant de parents quand leur gamin pleure ou hurle : il faut qu’il se calme, qu’il s’arrête tout de suite, car il est en train de foutre la merde dans l’ordre social.
Bien des parents se sentent impuissants dans ces moments, complètement dépassés par l’émotion de leur enfant qu’ils ne savent pas accueillir car ils sont démunis avec leur propre enfant intérieur. Ils n’ont pas les moyens de faire autrement que passer en force en criant, grondant voire frappant. Ils ont, comme leur enfant, besoin d’empathie.
Dans cette époque qui tend vers “Le meilleur des mondes” de Huxley, les émotions aversives de base (peur, colère et tristesse) sont vues comme négatives.
Pas de bol, ce sont des émotions que nous ressentons fréquemment ! Encore faut-il être encore suffisamment présent à soi pour le notifier.
Je croise beaucoup d’humains qui se sont coupées d’une ou plusieurs de leurs émotions tant cela est tabou.
C’est aussi mon cas, la tristesse a longtemps été une émotion qui était enfouie très loin et que je détestais.
L’écueil de se couper de sa vie émotionnelle est le même que se couper de l’amour quand on a été blessé : on se coupe de la vie elle-même.
Dans cet état mort-vivant, c’est la porte ouverte à la dépression, à la fuite de soi par tous les stratagèmes possibles : nourriture, drogues, jeux, développement personnel, sport…
Un individu incapable de se poser avec sa tristesse va se sentir triste au fond de lui toute sa vie, sans jamais se l’autoriser. C’est cela que je trouve dramatique.
Arrêtons d’étiqueter le vivant
“Je me sens mal”, “Il fait moche” illustrent la tendance à émettre un jugement de valeur du vivant, ici une émotion ou la météo.
Dire que “je me sens bien/mal” est extrêmement pauvre : il y a 2 acceptions possibles, alors que nous pouvons vivre des dizaines, des centaines d’émotions différentes ! Cela revient à une forme de novlangue (dédicace à Orwell) qui transforme l’arc-en-ciel en un damier noir et blanc.
Il n’y a probablement pas de limites à la palette d’émotions qu’un humain peut ressentir. Même s’il y a des dizaines de mots pour parler de nos émotions, la carte n’est pas le territoire et il y a une infinité de finesse.
Quand je cesse d’étiqueter ce que je vis, je peux commencer à m’ouvrir réellement à ce qui est et à le ressentir pleinement sans technique.
Si je continue de croire qu’il y a des émotions négatives, je vais passer ma vie à sacrifier tout ce qui n’est pas OK selon mon point de vue. Pour aller plus loin, ce n’est pas vraiment “mon point de vue”.
Si les émotions sont taxées de négative, c’est car elles sont socialement inacceptables. C’est extrêmement dépendant de la culture dans laquelle tu vis.
Au Japon, à cause de la prédominance du masque social, les émotions sont beaucoup plus réprimées que dans des pays d’Afrique par exemple. La série Sense 8 illustre bien ces grosses différences culturelles.
Toute société étant construite sur le sacrifice de l’être (cf les travaux de René Girard) pour vivre la paix sociale, toute émotion qui vient mettre en péril l’ordre social est refoulée.
L’individu doit se contenir en contrôlant ses émotions et finit constipé émotionnellement voire complètement coupé de sa vie intérieure. Sans que ce soit la seule raison, l’explosion des dépressions, des cancers et de tant de maladies chroniques, est extrêmement liée au refoulement généralisé de nos émotions (et de nos désirs, pulsions). Le retentissement sur la santé est immense.
Si tu es un être humain, j’ai un scoop : tu vas nécessairement ressentir encore et encore la tristesse, la peur et la colère. Et c’est totalement OK !
Au plus tôt tu te défais de l’idée qu’il y a des émotions positives et des émotions négatives, au mieux tu vas te porter.
Le refoulement des émotions ressemble souvent à un barrage intérieur où il ne faut rien laisser passer et quand le barrage cède (car la vie ne peut être contenue indéfiniment), la cocotte-minute explose et l’expression des émotions devient dévastatrice.
Selon l’ampleur de la répression, selon le profil de personnalité, selon le contexte, ça s’exprime sous forme de critique acerbe, de violence physique voire de meurtre, de symptôme, de maladie aiguë voire d’accident. La santé est souvent un baromètre du niveau de refoulement émotionnel d’un individu.
Changer de rapport aux émotions
Selon le niveau de conscience d’un individu, l’émotion est vue comme :
- mauvaise voire source de culpabilité
- un obstacle à l’atteinte d’objectif, un frein à la performance
- le symptôme d’un besoin insatisfait
- une soupape qui permet de relâcher la pression
- une émotion, tout simplement
En étant au clair sur ton rapport aux émotions, tu sais avec quoi tu vis au quotidien et ça change tout. Cela te permet de voir en face ta propre programmation et éventuellement faire le travail nécessaire pour sortir de cette vision toxique au sujet des émotions.
Mon invitation est de voir les émotions pour ce qu’elles sont : des émotions. Par nature, l’émotion est un flux de la vie qui va et vient.
Nul besoin de s’y accrocher, de raconter des histoires autour, de chercher des raisons rationnelles ou d’en faire toute une montagne, juste de la ressentir ici et maintenant telle qu’elle est.
L’émotion est un cadeau précieux qui t’informe en temps réel de l’état de plénitude de tes besoins. Si tu la prends comme telle, tu te fais le cadeau d’accueillir la vie telle qu’elle est et il n’y a rien d’autre à faire pour te sentir… vivant.
Si c’est difficile pour toi et que tu souhaites de l’aide à ce sujet, tu peux jeter un œil par ici.