Lâcher prise… on l’entend à toutes les sauces :
“Il faut lâcher prise dans la vie”, “Allez, lâche prise un peu”…
Dans une vie remplie de stress, au travail, dans les relations, à la maison… Le lâcher prise s’invite partout.
Ca veut dire quoi exactement ?
Zoomons sur ce sujet aussi fascinant que mal compris.
Sommaire
C’est quoi le lâcher prise ?
On parle souvent de lâcher le mental…
Voici la technique la plus efficace que j’ai trouvé pour ça.
Lâcher prise n’est pas un concept, ce n’est pas une technique pour lutter contre le stress. Ce n’est pas quelque chose qu’on fait. Lâcher prise est éminamment concret. Lâcher prise c’est détendre la tension qui me coupe de la vie. Illustrons le double mouvement du lâcher prise avec un exemple :
1/ Constater la tension, par exemple les muscles de la mâchoire ou des trapèzes
2/ Relâcher la tension présente dans les muscles concernés
Lorsque tu veux lâcher prise, constate que la tension est déjà là. Qu’elle soit mentale, émotionnelle ou corporelle (souvent les 3 dans la réalité), la tension fait partie de ta vie. Cette tension est de l’énergie de vie cristallisée en un point.
Tout le monde l’a déjà expérimenté lors d’un massage, quand le masseur insiste sur tes trapèzes, il révèle les tensions que tu as déjà, qui viennent de la vie, du stress, des événements, des croyances, un problème récurrent, un problème de santé… Ainsi, le lâcher prise ne relève jamais d’une action particulière, mais plutôt d’une non action. Je sais que cette idée est très difficile à appréhender pour nos esprits d’occidentaux alors que c’est une évidence dans le zen.
Voilà pourquoi dire qu’il faut lâcher prise est une double contrainte : Tu ne peux pas vouloir lâcher prise ET lâcher prise.
Il suffit de remplacer par le mot sommeil pour comprendre : tu ne peux pas vouloir dormir ET dormir. Vouloir dormir, ça s’appelle l’insomnie !
Lâcher prise, pour quoi faire ?
Nous pratiquons tous le contrôle en puissance. Bien évidemment il y a plein de raisons de contrôler.
- Contrôler son image sociale : montrer aux autres ce qui nous arrange.
- Contrôler son monde intérieur : tenir une discipline, un mode de vie, une rigueur.
- Contrôler ses émotions : rester dans la tête, éviter de ressentir pour ne pas se laisser submerger par les émotions.
- Contrôler le cadre : tenir des règles très strictes, faire en sorte de les respecter et de les faire respecter.
- Contrôler l’autre : empêcher l’autre de faire ou dire quelque chose.
- Contrôler soi-même : contenir sa colère, essayer de faire toujours plus, toujours mieux…
Le contrôle est comme un cal osseux ou une contracture, il se met en place tout près d’une zone fragile.
Le contrôle est une stratégie de protection de l’ego, évidemment.
Certaines personnes ont encore plus besoin de cette stratégie là :
- Les profils de personnalité plus instinctifs (cf l’ennéagramme)
- Les personnes ayant vécu des atrocités (violence, torture, viol…)
Mais tout le monde est capable d’employer le contrôle puisque c’est une stratégie comme une autre…
In fine, le contrôle permet à l’individu de ne pas être confronté au chaos de la vie et d’avoir une illusion de sécurité, car s’il y a bien quelque chose que la vie nous apprend, c’est qu’on ne peut RIEN contrôler.
Vouloir contrôler la vie, une émotion, l’autre, c’est comme chercher à attraper de l’eau avec nos mains, chercher à saisir le vent ou une onde électromagnétique : c’est voué à l’échec.
Comment lâcher prise
Lâcher prise n’est PAS faire quelque chose, donc ce n’est pas dans le comment ! C’est au contraire arrêter de faire, comme tu l’as compris avec l’exemple du muscle : il s’agit simplement d’arrêter de contracter, donc de relâcher.
Cela revient à la Via Negativa, l’art de l’addition par la soustraction, qui nous enseigne qu’il vaut mieux dans la vie éliminer qu’ajouter.
Lâcher prise = arrêter de contrôler.
Pour intégrer ce qu’est le lâcher prise plutôt qu’essayer de le comprendre, je t’invite à l’expérimenter sur le plan purement physique :
- par le travail de tension/relaxation qu’on pratique dans les arts martiaux, comme le systema
- par des exercices de relaxation comme la technique de Jacobson : accentuer la contraction pour la conscientiser puis détendre.
- se laisser tomber en arrière sur un matelas, en avant dans l’eau, au sol sur place…
Ces pratiques corporelles aident à prendre conscience qu’on maintient une certaine tension qui nous empêche de lâcher prise.
Le lâcher prise ne peut se faire qu’en conscientisant qu’on tient quelque chose. Si je ne réalise pas que je suis tendu, comment puis-je relâcher ? Tout travail de conscience aide à naturellement lâcher prise.
En 2016, un posturologue m’a conseillé de mettre une pastille autocollante sur le rétroviseur de ma voiture. Le but était simple : avoir un déclencheur pour prendre conscience de l’état de tension de ma mâchoire et la relâcher s’il y a une contraction. Depuis, j’ai le réflexe de m’observer en conduisant, de sentir ma respiration, l’état de tension de mon corps, je fais en sorte d’être présent à ma conduite. Les premières années, je constatais souvent que mes trapèzes ou ma mâchoire étaient contractés sans raison. Alors, quand je m’en rendais compte, je lâchais simplement.
C’est ce que permet la méditation : pas de se détendre et être zen… Simplement de vérifier mon état mental, émotionnel et corporel. Cette vérification me permet d’observer les tensions présentes et de simplement lâcher.
En particulier la méditation Vipassana qui permet vraiment d’expérimenter le lâcher prise !
Ainsi, il est intéressant de se poser les questions :
- Quelle crispation mentale fixe mon attention ?
- Quelle tension émotionnelle m’emporte telle une passion ? (au sens originel du mot)
- Quelle contraction physique fige mon corps ?
Tu peux aussi te demander de façon plus générale :
- Qu’est-ce que je (re)tiens au quotidien?
- Quelles tensions je garde dans ma vie ?
- De quoi j’ai besoin pour lâcher ces tensions ?
Lâcher prise sur le lâcher prise
Le lâcher prise a le vent en poupe dans le courant du développement personnel. Toutes les semaines j’entends de la bouche des gens que j’accompagne “il faut que je lâche prise.” Il existe pléthore de livres qui proposent de lâcher prise et nous le sert à toutes les sauces :
- “7 étapes pour lâcher prise”
- “4 exercices pour apprendre à lâcher prise”
- “Comment lâcher prise ? 5 manières concrètes”
Ce concept à la mode est souvent un leurre, simplement parce que vouloir lâcher prise c’est encore chercher à contrôler. La porte de sortie ne PEUT PAS être dans le vouloir ou dans le faire.
En effet, le contrôle est le pendant du lâcher prise.
Chercher comment lâcher prise, c’est se tromper de cible. Lâcher prise, ça commence d’abord par voir pourquoi on a besoin de contrôler. Contrôler, c’est vouloir rester maître à bord. Le contrôle étant juste un comportement, tu peux creuser ce qu’il y a derrière.
Qu’est-ce que tu veux contrôler ? Tes émotions ? Tes pensées ? Tes actions ? Les autres ? Le futur ? Tes habitudes ?
Le contrôle revient à une forme de domination où l’on veut saisir les choses. Le contrôle peut être motivé par un rejet de la peur. Je veux contrôler mon environnement, où je vais, pour assurer mes arrières. Le contrôle peut être motivé par un rejet de la tristesse. Je ne veux pas montrer ma vulnérabilité. Le contrôle peut être motivé par la colère. Je ne peux pas me permettre de perdre le contrôle.
Perdre le contrôle, être vulnérable, être submergé par mes émotions, … cela fait partie des plus grandes craintes que je rencontre dans le quotidien chez les personnes que j’accompagne.
Dans ma propre histoire avec le contrôle, j’ai constaté que je cherche à contrôler mon image sociale, pour montrer ce qui m’arrange. Evidemment, je cherche à être aimé à travers ça et c’était inconscient la plus grande partie de ma vie. Je cherche aussi à contrôler mes habitudes, ce que je mange, ce que je fais comme mouvement, pour coller à l’image idéale que j’ai de moi.
Lâcher prise peut juste commencer par se connecter à la partie de moi qui choisit la stratégie de contrôle et écouter le besoin sous-jacent.
On ne contrôle pas pour le fun, c’est une stratégie de protection qui cache une zone sensible. Personne ne met une armure gratuitement : quelqu’un qui se blinde à de bonnes raisons de se blinder.
Il ne faut certainement pas blâmer cette part de nous qui contrôle : c’est le meilleur système de défense qu’on ait trouvé.
Récemment, j’ai reçu le message d’une personne qui voulait démarrer un accompagnement avec moi, avec qui nous avions convenu une date pour le premier rendez-vous. Dans son message, elle dit qu’elle ne souhaitait pas continuer.
Dans une situation comme celle-ci, j’avais la tendance à recadrer la réalité dans un sens qui m’arrange : “elle n’est pas prête”, “c’est le signe qu’elle n’est pas enseignable”. Penser ça me permet de ne pas regarder ce que ça vient chercher chez moi, même si ça peut être vrai. J’ai senti que ce message a créé une tension en moi et je n’ai pas voulu l’explorer. En plus, j’ai cerné le profil de personnalité de cette personne et j’ai clairement vu qu’elle adoptait une stratégie d’évitement pour ne pas creuser en elle et éviter de prendre soin d’elle.
Cette situation m’a invité à voir le contrôle que je voulais avoir sur le résultat, avec la volonté qu’elle signe, qu’elle paye, qu’elle se connaisse et que ça lui change la vie. Le fait qu’elle décide autrement m’a permis de voir que mon contrôle était vain. Cela m’a permis de respirer mon impuissance totale à décider pour l’autre.
Je sais que le fruit doit être cueilli quand il est mûr, pas avant. Cela m’invite à lâcher sur la cueillette des fruits précoces…
Il n’y a pas à lâcher prise, mais à regarder pourquoi j’ai cette volonté de contrôler et me détendre à cet endroit-là : à respirer la contraction.
Vouloir lâcher prise est une chimère qui fige un mouvement.
S’arrêter sur le terme de lâcher prise et chercher des moyens de lâcher prise, c’est encore vouloir contrôler, alors que l’invitation est à “lâcher” tout court.
Si tu es suspendu à une barre de traction et que tu restes accroché, tu n’as pas besoin d’apprendre à “lâcher prise” sur la barre de traction. Tu lâches et tu tombes de la barre, point.
Après tout, il s’agit simplement de relâcher les trois niveaux :
- Décrisper la fixation mentale
- Détendre la passion émotionnelle
- Décontracter la contraction corporelle
Et bien entendu lâcher sur le mécanisme de défense.
C’est une invitation à juste arrêter.
“La meilleure façon de purifier d’une eau boueuse est de la laisser tranquille.”Alan Watts
Et si tu n’arrives pas à lâcher prise ?
Certaines personnes me demandent :
“Fabien, comment faire si je n’arrive pas à lâcher prise ?”
Laisse-moi te répondre par une question :
“Comment fais-tu pour dormir si tu n’y arrives pas ?”
Tu arrêtes d’essayer, tu te fous la paix… Et de cette détente risque d’arriver le sommeil.
Si tu n’arrives pas à lâcher prise, très bien : il n’y a pas d’injonction à lâcher prise hein. Quand tu n’y arrives pas, tu n’y arrives pas.
Ca te met face à ton impuissance et ça t’invite à voir que tu n’as pas les ressources pour satisfaire tes envies… (et à ressentir émotionnellement ce que ça fait)
Chacun humain fait face à un moment de sa vie à son impuissance : ça fait mal et c’est ainsi. Ca t’invite à faire le deuil de ta toute puissance et de faire la paix avec le fait que tu n’y arrives pas.
Encore une invitation à arrêter de faire ou de vouloir, simplement rester avec ce qui est : ton sentiment d’impuissance, ta colère, ta tristesse… Ou tout ce qui se pointe dans ton expérience.
Au fond, ce qui nous terrifie, c’est réaliser à quel point nous ne contrôlons rien du tout dans notre vie, pas même notre propre esprit… Car à cet endroit, nous n’avons aucune emprise et nous pouvons juste nous en remettre à la vie elle-même : cela demande une bonne dose de Foi.
“Mon Dieu, donne-moi la Sérénité d’accepter les choses que je ne peux changer, le Courage de changer les choses que je peux, et la Sagesse d’en connaître la Différence.” Marc Aurèle