L’enfance détermine-t-elle le type ennéagramme d’un individu ?
L’enfance vient-elle confirmer le type ennéagramme déjà présent ?
Y a-t-il une interaction entre les deux ?
On en revient au dilemme l’œuf ou la poule.
Dans cet article nous allons creuser dans les tréfonds de la psychologie pour explorer ce sujet passionnant qu’est l’enfance et ses liens avec l’ennéagramme.
Nous allons également voir l’interaction inné-acquis et la blessure de chaque type de l’ennéagramme.
Tout commence par un sacrifice
Quand l’enfant naît dans le monde, il n’y est pas préparé : il est vulnérable et totalement dépendant d’un tiers pour être nourri, réchauffé, protégé. Il est dit néoténique.
Ce monde est trop complexe pour être appréhendé dans son entièreté, le système nerveux humain a pour mission d’agir pour assurer la survie et non se représenter la réalité telle qu’elle est.
Pour cette raison, la plupart des humains vivent dans leur interprétation de la réalité et pas dans la réalité. Cela leur permet d’agir et de survivre dans un monde complexe.
A la naissance, le bébé fusionne avec l’un des 3 centres, qui devient le centre préféré qu’il surutilise vers l’intérieur, vers l’extérieur ou les deux (cf le lexique).
(D’où les 9 possibilités, donnant lieu aux 9 ennéatypes)
Cette identification au centre préféré s’accompagne d’un sacrifice : le sacrifice d’une portion de réalité (la compulsion), inhérent à chaque ennéatype et sur lequel se base tout son fonctionnement.
Au choix, dans l’ordre : La colère, les besoins, l’échec, la banalité, le vide intérieur, la déviance (du cadre), la souffrance, la faiblesse, le conflit.
Chacun sa compulsion, qui définit le type et ses blessures privilégiés.
Le type de l'ennéagramme est-il inné ?
À la naissance, les cartes de l’ennéatype sont posées, comme la génétique.
On ne change pas d’ennéatype tout comme on ne change pas DE génétique.
Par contre on peut changer SA génétique : beaucoup de chercheurs étudient l’épigénétique et constatent la régulation de l’expression des gènes est un champ d’exploration immense… Avec l’environnement, le comportement, l’expression de nos gènes se modifie.
La génétique n’exclut pas l’épigénétique : elles se complètent et forment un continuum.
Il en est de même pour l’ennéatype : on n’en change pas et, pour autant, on en régule son expression.
Ca fait partie des fondamentaux de l’ennéagramme.
À ce jour, il semblerait que l’ennéatype soit inné (le type de base). Même si rien ne le prouve scientifiquement, il y a quelques éléments pouvant le faire penser :
– Personne n’a réussi à changer de type à ce jour (ça impliquerait de changer de blessure principale, de changer d’ego… Un très gros boulot en perspective)
– Au sein d’une même famille, 2 membres d’une fratrie ayant un âge très proche, ayant reçu une éducation similaire et la même programmation parentale sont très souvent d’ennéatype différent.
– Personne n’a encore présenté une paire de vrais jumeaux ayant un ennéatype différent.
– À la naissance, l’enfant a déjà une personnalité.
Se posent un tas de questions :
Quand l’ennéatype est-il déterminé ? Pendant la vie intra-utérine ? A la conception ? Avant la conception ? A un autre moment ? A plusieurs de ces moments ?
Mystère.
En tout cas, dès le plus jeune âge et bien avant un conditionnement parental et sociétal, beaucoup de choses sont déjà visibles.
Au début des années 1960, Alexander Thomas et Stella Chess, ont décrit dans leur ouvrage “Temperament and Development” leurs observations sur des enfants âgés de deux et trois mois.
Ils ont découvert des catégories de tempérament reconnaissables chez les nourrissons et les très jeunes enfants. Ils sont au nombre… de 9 :
Niveau d’activité : La quantité d’activité motrice dans le comportement, comme attraper, ramper, marcher.
Rythmicité (régularité) : La prévisibilité de n’importe quelle fonction.
Approche : Les réactions positives à des stimuli nouveaux (le retrait et les réponses négatives représentent l’autre extrémité du même continuum).
Adaptabilité : La facilité avec laquelle les réactions sont modifiées dans une direction désirée.
Seuil de réactivité : Le niveau d’intensité nécessaire pour qu’une stimulation provoque une réponse perceptible ou, en d’autres mots, le niveau de sensibilité.
Intensité de réaction : Le niveau d’énergie d’une réaction, indépendamment de sa qualité ou sa direction.
Qualité d’humeur : La quantité de réaction émotionnelle positive ou négative.
Distractivité : La sensibilité aux stimuli environnementaux accessoires conduisant à modifier la direction du comportement en cours.
Durée d’attention/Persistance : La capacité à maintenir son attention dans la durée et à continuer à s’occuper de ce qui est en cours même face à des obstacles (vigilance).
Les chercheurs n’avaient apparemment pas connaissance du modèle de l’ennéagramme puisqu’ils n’y font pas référence.
David Daniels, professeur de psychiatrie et de sciences comportementales, fait le pont avec l’ennéagramme :
Les 1 essayent de corriger les erreurs et de rendre la vie régulière et prévisible (Rythmicité/régularité).
Les 2 tendent la main pour satisfaire les besoins des autres et réagissent en les approchant de manière positive (Approche).
Les 3 se concentrent sur les tâches et les objectifs avec un haut niveau d’activité et vont de l’avant avec énergie (Activité).
Les 4 désirent ardemment une connexion sincère avec des émotions intenses et une humeur fluctuante (Qualité d’humeur).
Les 5, fortement sensibles aux stimuli, se détachent pour observer (Seuil de réactivité).
Les 6 sont en alerte et vigilants face aux menaces et aux dangers potentiels, la vigilance nécessitant la persistance afin d’être maintenue dans le temps (Durée d’attention).
Les 7 s’occupent d’options et de possibilités positives multiples et montrent une capacité à changer ou à s’orienter facilement dans une nouvelle direction désirée (Adaptabilité).
Les 8 cherchent le pouvoir et le contrôle et interviennent avec une haute énergie instinctive et une grande intensité (Intensité de réaction).
L’attention des 9 est dirigée par des demandes émanant de l’environnement, comme l’opinion des autres, et ils manifestent une facilité à s’accommoder des stimuli de l’environnement (Distractivité).
Il est fascinant de constater que l’enfant ne naît pas vierge telle une feuille blanche, il exprime déjà son ennéatype à travers son essence.
Il est en contact avec ses 3 centres et n’a pas encore créé d’ego.
A ce stade, son vécu n’a pas encore interféré avec son essence.
Ça ne saurait tarder !
L'influence de l'acquis et des blessures
La période de 0 à 2 ans est cruciale, elle est fondatrice pour le développement psychique et émotionnel de l’enfant.
(autant dire que toute blessure infligée à cet âge est critique)
En fonction de ses parents, de ses frères et sœurs, du contexte, de l’amour et de l’attention qu’il reçoit…
Autant l’inné semble définir l’ennéatype de base, autant l’acquis a aussi un rôle important à jouer.
Le centre réprimé (déterminant la variante alpha ou mu de l’ennéatype) se décide entre 0 et 2 ans. Suite à un événement particulier, le jeune enfant va étiqueter l’un des centres négativement et il va éviter de l’utiliser.
Le développement des ailes est aussi relative à l’acquis, la première aile se développant spontanément entre 16 et 24 ans chez tout le monde (au plus on a la vie dure, au plus elle arrive tôt), la deuxième se développant facultativement suite à un travail volontaire.
Le niveau de développement (ou niveau d’intégration) dépend énormément de l’enfance puis du travail de l’individu fait sur lui-même.
Beaucoup de données montrent l’influence des parents et de l’environnement sur le niveau de développement, de santé et de bien-être des enfants.
Notre niveau de développement est fortement lié à l’amour, l’attention et la flexibilité de notre mère et plus généralement de nos parents.
Sans contact et soutien émotionnel suffisants, le développement des enfants peut être gravement retardé voire compromis à tous les niveaux.
L’estime de soi des enfants est fortement corrélée à la capacité des parents à fixer des limites appropriées et à les élargir au fur et à mesure de la vie de l’enfant.
En poussant à l’extrême, nous pourrions dire que l’inné cause notre type et que l’acquis est responsable de notre niveau de développement et de notre santé.
Il commence à être connu que les individus qui violent, assassinent, séquestrent, d’autres individus, ne sont pas nés ainsi. Leur enfance les a façonné.
Un enfant qui subit de nombreuses blessures mentales ou physiques répétées n’a pas d’autre choix que se dissocier pour survivre et finir par créer un trouble de dissociation de l’identité, rajoutant des transes hypnotiques (de dissociation, puis d’amnésie) pour ne pas être présent à l’horreur de la réalité et laisser ça dans le tréfonds de l’inconscient.
Il en résulte des adultes brisés, qui souffrent, se font souffrir et pouvant faire souffrir les autres.
Voici 2 exemples connus de trouble dissociatif de l’identité consécutif à des immondices vécues dans l’enfance :
1/ Kim Noble, une artiste qui a 13 personnalités. Chacune de ses personnalités peint avec un style personnel et distinctif. Toutes ses personnalités révèlent, à travers des œuvres souvent très sombres, des abus rituels qu’elle aurait subi dans sa petite enfance (dont les détails sont très flous) participant à des programmes de contrôle mental du gouvernement.
2/ Billy Milligan, qui a 24 personnalités. À la fin des années 1970, il est arrêté pour plusieurs viols puis jugé non responsable de ses crimes en raison de son trouble dissociatif de l’identité. Cet homme a inspiré le talentueux M. Night Shyamalan pour créer son personnage Kevin Wendell Crumb dans son excellent film Split (et présent aussi dans Glass). Petit, il a subi des abus sexuels, été enterré vivant, été pendu par les doigts et les orteils dans une grange (parmi bien d’autres atrocités).
Parenthèse : chez des personnes qui vivent ce trouble, il arrive qu’une personnalité soit myope (et pas les autres), soit diabétique (et pas les autres)… Ce qui questionne sur l’influence réciproque entre configuration psychique et biologie.
On peut voir la dissociation et l’amnésie comme des protections contre la barbarie.
Un enfant grandissant dans un environnement aimant où il est soutenu, cadré, respecté, a toutes les chances de devenir un individu ancré, stable, qui n’aura pas l’envie particulière de tuer, violer ou séquestrer son prochain.
Selon le Dr David Spiegel, aux États-Unis, au Canada, et en Europe, près de 90 % des personnes atteintes du trouble dissociatif de l’identité ont été sévèrement maltraitées (physiquement, sexuellement, ou émotionnellement) ou négligées durant l’enfance.
L’origine du trouble se trouve souvent dans la petite enfance avec des blessures répétées.
“Plus le traumatisme est vécu de façon précoce, plus ça a des conséquences sur le psychisme” selon Etienne Dumenil, psychologue et psychanalyste.
Les traumas sont des blessures qui influencent considérablement le psychisme des enfants mais attention aux raccourcis : il n’y a pas de lien a priori entre trauma de l’enfance et type de personnalité, puisqu’on a vu que le plus probable est que l’ennéatype soit inné.
Les 9 messages inconscients des 9 types
Les blessures que l’enfant vit quand il est petit vient confirmer ce qu’il croit déjà. Ce n’est pas l’enfance qui conditionne l’ennéatype puisque tout porte à croire qu’il est inné, contrairement à ce qu’affirment certains auteurs.
Par contre, notre enfant intérieur reste sensible à cet endroit toute sa vie.
Voici le message “codé” dans le psychisme de chaque type de l’ennéagramme :
Type 1 : “Ce n’est pas OK de faire des erreurs.”
Cela façonne le type 1, le pousse à s’améliorer et à chercher la perfection.
Type 2 : “Ce n’est pas OK d’avoir ses propres besoins.”
Cela façonne le type 2, le pousse à écouter les besoins des autres plutôt que les siens.
Type 3 : “Ce n’est pas OK d’avoir ses propres sentiments et sa propre identité.”
Cela pousse le type 3 à se cacher derrière ses réalisations pour ne pas se connaître lui-même (d’où la répression de la problématique identitaire)
Type 4 : “Ce n’est pas OK d’être trop fonctionnel ou trop heureux.”
Cela pousse le type 4 à nourrir ses émotions désagréables pour ne jamais avoir le sentiment qu’il convient.
Type 5 : “Ce n’est pas OK d’être à l’aise dans le monde.”
Cela pousse le type 5 à se retirer dans sa grotte et à se détacher du monde.
Type 6 : “Ce n’est pas OK de se faire confiance.”
Cela pousse le type 6 à ne pas faire confiance aux autres à se méfier de tout.
Type 7 : “Ce n’est pas OK de dépendre de quelqu’un pour quoi que ce soit.”
Cela pousse le type 7 à fuir toutes les limites du monde.
Type 8 : “Ce n’est pas OK d’être vulnérable ou de faire confiance à quelqu’un.”
Cela pousse le type 8 à voir tout le monde comme un ennemi potentiel et à se protéger.
Type 9 : “Ce n’est pas OK de s’affirmer.”
Ces 9 blessures poussent les 9 ennéatypes à se construire sur un socle branlant, raison pour laquelle l’ego est instable.
Le continuum inné-acquis
Inné et acquis sont deux pôles d’un continuum qu’on ne saurait couper.
Au final, savoir d’où vient exactement l’ennéatype importe peu.
Certains auteurs comme Don Richard Riso et Russ Hudson expliquent que le vécu de l’enfance n’est pas à l’origine du type de personnalité. Par contre, il y a des tendances observées dans la petite enfance qui ont un impact majeur sur les relations de l’ennéatype à l’âge adulte.
Finalement, l’individu pourrait tout à fait sélectionner les souvenirs, les informations, les émotions, les blessures et les traumas qui l’arrangent pour renforcer son identité, en fonction de son prisme personnel, inévitablement lié à son ennéatype.
L’ennéatype est un potentiel, il n’est qu’un élément décrit par le modèle de l’ennéagramme, que l’individu s’approprie en fonction de son histoire, de sa culture et de l’humain dans sa globalité.
L’ennéatype est un peu comme mon corps : je ne peux pas changer mon visage, ni ma taille, ni la couleur de mes yeux, ni la longueur de mes segments, ni mes cicatrices ou mes blessures, par contre je peux changer ma musculature, mon taux de graisse, ma posture, mon look…
En vivant la vie, je façonne mon ennéatype au-delà du chiffre écrit sur le schéma : c’est un processus dynamique, continu et vivant.
Pour ces raisons, enfermer un individu dans un ennéatype sans considérer la dynamique du processus n’a aucun sens, c’est une question d’économie d’énergie.
L’enfance a forgé qui on est, comme chaque jour qui passe.
Objectivement, notre enfance n’existe plus, c’est un temps passé, révolu, il n’y a que ce qui est dans l’instant présent.
Subjectivement, par contre, nous avons tous gardé notre enfance dans notre sac à dos psychique (avec le lot de traumas, de blessures, d’émotions non résolues), ce qui influence énormément notre vision du monde, notre identité, nos croyances…
Il s’agit d’un passé filtré, interprété, qui peut être très distordu par rapport à ce que nous avons réellement vécu.
Garde à l’esprit que quoi que tu aies vécu dans ton enfance, ce qui compte est ta perception et ton émotion ici et maintenant. Tu peux rationaliser, analyser autant que tu veux… si ça te rend triste, ça te rend triste, point.
La seule façon de rester coincé dans le passé est de bloquer le processus naturel de la vie qui cherche des occasions tout le temps pour s’auto-guérir.
A un moment donné, ça demandera de libérer l’enfant à l’intérieur de toi en vivant toutes les émotions qui ont été censurées, sans les juger ou les étiqueter.
Plus on s’autorise à vivre cela, plus on nettoie nos lunettes qui filtrent la réalité et plus nous apprenons à voir les choses telles qu’elles sont.
Sources
Les 9 tempéraments : David Daniels (traduit par Fabien Chabreuil)
Les 9 messages : Livre “Wisdom of enneagram” de Don Richard Riso et Russ Hudson